L’Architecture Euphorique n°05 |
Publiée en juillet 2024
Avec la revue d’architecture — L’Architecture Euphorique : Va jouer dehors ! se donne pour mission de rencontrer celles et ceux qui œuvrent pour dire et faire afin de construire des histoires magnifiques et pas magnifiées. Elles sont magnifiques parce qu’elles sont vraies et le 5e numéro de la revue s’en fait l’écho avec un titre en forme de cri de guerre Kastakaz !
ARCHITECTE C’EST UN SALE MÉTIER !
C’est le genre de celui qui se fait passer pour un être sensible, féru d’art contemporain mais qui ne connaît pas Jean-Michel Basquiat ou Damien Hirst.
C’est celui qui renonce et qui se résigne, celui qui, depuis toujours, est à la solde des puissants. C’est plus un art commandé qu’un art de commande.
Existe-t-il un métier plus bourgeois qu’architecte ?
Michel Ange, Filippo Brunelleschi ou Frank Lloyd Wright, Mies van der Rohe, Zaha Hadid, Jean Nouvel ou Frank Gehry ne sont pas devenus célèbres pour avoir réhabilité des bâtiments ou inventé une forme de logement révolutionnaire, ils le sont pour avoir édifié des monuments solitaires à la gloire de leurs commanditaires.
De manière encore plus large, l’architecte est celui qui bâtit des murs pour enfermer et circonscrire un usage.
Chaque animal porte sa maison ou la trouve partout, nous on nous coince dedans.
Avant il n’y a avait rien, un monde vaste et libre, puis l’humain a arrêté de marcher, il a inventé la sédentarité et, avec elle, les limites, la maladie et la prise de poids.
L’humain a créé un quadrillage de la terre, il a dessiné ses propres limites, puis il a conçu des cases qu’il a fini par empiler pour s’enfermer dans sa propre finitude.
L’architecte n’a rien d’un artiste : il est l’artisan de la privation de liberté de toute essence d’humanité.
Le paradoxe est que la ville dont l’architecte est le principal « responsable » est pourtant le terreau de l’intelligence collective, la source de l’intérêt commun, du hasard et de la rencontre qui permet d’aller vers les autres, même si aujourd’hui c’est la bêtise aveugle qui semble prendre le pas sur la plus élémentaire intelligence.
Or nous n’avons pas le choix : nous allons tous finir par vivre en ville, au moins 85% d’entre nous.
A l’heure où la puissance financière n’a plus besoin de la signature d’un architecte pour se faire valoir en matière de ville, alors que la vulgarité et l’insignifiance se répandent sur le monde à la vitesse des réseaux sociaux, de ce nouvel anonymat de l’architecte peut naître une certaine forme de liberté.
En effet plus personne ne compte vraiment sur l’architecte.
Alors ou bien il se dilue dans un monde qui court à sa perte, ou alors il cherche au contraire par tous les moyens les chemins de traverse, les failles, les interstices, qu’il lui faut souvent créer pour s’y engouffrer. Ensuite il pourra les agrandir et briser peu à peu le carcan des cases qu’il a autrefois lui-même érigées. Il renouera un peu avec l’être humain au sens de l’Indien qui est en lui.
Il n’y retrouvera pas sa liberté, pas tout de suite en tous cas, mais alors qu’il est chaque jour un peu plus méprisé, bafoué et inconsidéré, il y regagnera sans doute un peu de dignité, à défaut de son honneur qui lui a été définitivement dérobé.
Existe-t-il un autre chemin que celui-là, sous les étoiles et au service des gens, pour qu’il arrête de se comporter comme un bourgeois afin de se mettre enfin au service du mieux-être, et non pas de ceux qui se pensent puissants, alors qu’ils sont à l’arrière garde du monde qui vient ?
Sans cela et sans les architectes, les vrais, il n’y aura pas de monde demain.
Matthieu Poitevin
Architecte fondateur de Caractère Spécial
Président de l’association Va jouer dehors !