L’Architecture Euphorique n°03

Publiée en octobre 2023 à l’occasion de l’édition 2023 du Festival de la Ville


« Je poursuis un rêve, je veux l’impossible. Les autres peintres peignent un pont, une maison, un bateau…et ils ont fini. Je veux peindre l’air dans lequel se trouve le pont, la maison, le bateau, la beauté de l’air où ils sont et ce n’est rien d’autre que l’impossible. »
Claude Monnet


La création porte en elle quelque chose de fragile, de sauvage et indompté. Elle est Indomptable, irrégulière et libre viscéralement libre. C’est pour ça que l’architecture, telle qu’on la pratique m’ennuie : c’est qu’elle est tout le temps aseptisée, c’est qu’elle est tout le temps domptée, c’est qu’elle est tout le temps canalisée.
Ce qui est canalisé est pétri d’ennui. Une rivière est fascinante, un canal est soporifique. La vie est vive. L’architecture se doit de l’être. La création doit garder quelque chose de sauvage. Et par sa sauvagerie elle est profondément politique, à la fois parce qu’elle agit comme un révélateur de la société et parce que par essence elle cherche à changer le monde. Ou tout au moins à le rendre meilleur.
Et c’est précisément là que se situe l’architecture : dans le rapport de force très politique entre un modèle de société et un autre.
L’architecture, c’est ce qui contient, mais aussi ce qui est contenu. C’est en quelque sorte la trace d’une société et le support qui la rend possible. C’est tous les humains qui l’habitent et qui font, avec elle, la ville au quotidien ; elle esquisse un modèle de commun.
Toujours, et, par là-même, elle est sans doute la plus politique des créations.

En architecture comme en art, la fragilité est une invitation à prendre soin.
C’est parce que la situation est fragile que l’oeuvre arrive, c’est parce que la position de l’artiste est fragile qu’il a quelque chose à dire.
Il faut cette exposition au danger pour qu’une oeuvre advienne. Il faut cette exposition à l’humain pour que l’architecture soit.
La situation du monde n’a jamais été si fragile. Il n’est pas possible de se refermer sur une quelconque position conservatrice puisqu’il n’y a plus rien à conserver. Il y a urgence à faire, à créer et c’est le moment le plus propice pour que l’oeuvre advienne.

L’architecture peut être étouffée par les formes, les compositions, l’aura de la monumentalité, les intérêts financiers ou encore le narcissisme de ceux qui la fabriquent.
Or les architectes doivent mettre en avant non pas leur individualisme formalisant, mais le désir d’être utile aux gens. L’architecture ne doit-elle pas nourrir la conscience de l’injustice, un sentiment aigu de responsabilité collective, et donc l’envie de lutter pour parvenir à une fin positive et surtout collective ?

C’est peut-être vers ça qu’il faudrait essayer de trouver un fond commun à partir duquel réfléchir et que la forme en découle ensuite. L’un n’allant pas sans l’autre. L’un ne pouvant exister au détriment de l’autre! C’est certainement ainsi que l’architecture pourra trouver un nouvel élan et faire taire définitivement ceux qui voudrait la vassaliser : en se souvenant qu’elle est d’abord et avant tout un acte politique de création.


Matthieu Poitevin
Architecte fondateur de Caractère Spécial
Président de l’association Va jouer dehors !

Extraits de la publication